Lors de mon précédent article, je vous disais entre autres choses, que la nourriture n'est pas un droit, mais un don de la Nature. J'en suis toujours convaincue, mais peu de temps passé à travailler dans des fermes me suffit à ajouter que c'est aussi beaucoup de travail, de temps et de générosité donnés par ceux qui y travaillent ! Maintenant, quand je mange un petit pois, je vois le témoignage de toute une aventure et le savoure d'autant plus ! Non, non, je ne suis pas en train de délirer et rassurez-vous, je ne me suis pas fait envoûter par une secte... mais plutôt par le charme et l'excitation de participer à cette aventure, que je trouve pleine de spiritualité.
Aujourd'hui, j'ai donc envie de vous raconter comment je vis et comprends mon expérience agricole. Juste pour raviver les mémoires, je rappelle que ces deux derniers mois, j'ai travaillé pour une entreprise familiale qui produit des plantes et en fait des tisanes et quelques produits cosmétiques bios, dans un cadre médicinal, et aussi, juste pour le plaisir. Cette famille a aussi un énorme potager, dans lequel j'ai passé beaucoup de temps.
Avant de me lancer dans cette aventure, on m'avait prévenue : travailler la terre, c'est physique et fatigant... haha ! comme si ça allait me faire peur ! il est vrai que l'agriculture bio demande beaucoup au corps, puisque par respect pour l'environnement et nos santés, elle n'utilise pas de produits chimiques pour éliminer mauvaises herbes et insectes, et limite les appareils à moteur. C'est donc le corps qui désherbe, récolte, porte... Alors oui, c'est physique, mais quand on mange équilibré (et bio !), on est plein d'énergie, et quand on apprend bien le métier, on apprend à utiliser ce corps pour ne pas trop le faire souffrir. Être agriculteur, c'est dans ce sens, un peu comme être sportif de haut niveau en fait ! Et puis en plus, la vie est belle car il existe des disciplines, comme le yoga, qui peuvent vous transmettre des super pouvoirs pour vous réparer en cas de panne !
Pour moi, cette fatigue n'est rien comparé au bonheur d'être en contact avec la Nature. Ce contact consiste concrètement ici à désherber, semer, planter, replanter, faucher, récolter, nourrir le sol de composte, protéger les plantations fragiles de sciure, apprendre les fruits, les légumes et les plantes, etc... je réveille tous mes sens, me laisse envahir par la Nature, et c'est bon ! Je suis parfois fatiguée certes, mais ce qui se passe dans mon corps et mon esprit est si puissant que l'éventuelle peinibilité du travail en est amoindrie. Qu'est-ce qui est si puissant ? Peut-être la surprise de me sentir part de cette Nature ? Cette surprise me semble dingue, dans la mesure où il est juste évident qu'en tant qu'êtres vivants, on en fait tous partie, de cette Nature ! Je réalise en fait à quel point je la connais mal, malgré tout le respect que j'ai pour elle. Imaginez, avec tout l'intérêt que je porte aux fruits et légumes, j'arrive à peine à les reconnaître dans le jardin ! Je n'en suis pas très fière, même si j'ai quand-même fait des progrès en deux mois.... Et je ne vous raconte pas hors du jardin... j'ai très peu de connaissances des arbres, des fleurs, des nuages, de comment tout cela fonctionne... malgré tout, en prenant ici le temps d'être dehors, je me réjouis de sentir au plus profond de moi-même un début de reconnexion. C'est en cela que je trouve cette expérience agricole spirituelle : je suis en train de développer un rapport à la Nature qu'il est très difficile à expliquer... quelque chose à voir avec un bien-être intérieur, tout personnel... juste le fait d'être bien là. C'est simple et rassurant, c'est extraordinaire et très stimulant. La question de la spiritualité est assez nouvelle pour moi qui ne me suis jamais sentie concernée par ce sujet auparavant. Mais ici, non seulement je commence à la vivre malgré moi, mais en plus, Greg et Libby en connaissant un rayon en spiritualité et méditation, ils m'en ont beaucoup parlé en faisant des parrallèles entre les cultures bouddhiste, aborigène, indienne, africaine... humaine (J'ajouterais bien celles du berger et du marin scrutant au loin...). Vous ne serez donc pas étonnés de voir plus bas, une photo du Lama de Launceston prise sur leur propriété le jour où il est venu bénir cinq drapeaux qui répandent le bien-être tout autour.
Je suis sur la voie de la reconnexion, mais ce n'est vraiment qu'un début. En effet, la Nature totale, hors de toute trace humaine, celle qu'il y a au-delà des clôtures de la propriété, elle m'impressionne toujours autant et je la crains ! Ici, dans cette propriété au milieu du bush, j'en aurais des occasions d'aller vraiment en son cœur mais... il est toujours difficile de partir me balader seule dans le bush, parce que j'ai peur de me perdre ou des serpents ou autre ! Pourquoi j'ai peur ? Parce que je n'ai pas appris à être dans ce genre de situations ! On en sait des choses sur le serpent par exemple, on peut en parler, faire des schémas etc, mais l'expérience du serpent en pleine Nature, combien d'entre nous l'a vraiment vécue ? C'est pas Wikipédia qui va nous la "mailer" ! Bref, ma reconnexion n'est pas encore achevée : la connaissance de la Nature, qui je pense, doit être à la fois scientifique, sensible et spirituelle, est à développer me concernant... j'ai encore du boulot !
L'agriculture bio travaille avec la Nature, pas contre elle. C'est même cette dernière qui commande, et c'est à nous de la comprendre pour mieux nous adapter. Comme elle est toujours en mouvement, imprévisible, il est difficile de respecter un emploi du temps : on peut avoir un plan éventuel, mais la théorie est ici souvent contrariée et doit s'adapter en fonction de la météo de chaque jour, des récoltes (qui quand elles sont mûres, ne peuvent pas attendre), des imprévus (un possum qui a passé tous les obstacles et atteint puis endommagé les branches bourgeonnantes des arbres fruitiers... il faut le piéger et le chasser, construire une protection pour les arbres)... Aussi, ce n'est pas parce qu'un travail n'est pas achevé un jour qu'il le sera le lendemain, cela dépend de l'urgence du jour. C'est le patron qui sait ce qu'on doit faire. Il est trop fort, le patron. Avec les années et la passion, il a appris à doser les ingrédients nécessaires pour avoir de bons résultats : intuition, savoir-faire, écoute de la nature, expérience. J'adore être au contact de gens comme lui, qui semblent tout savoir. En plus d'être en capacité de m'apprendre sur le métier et la Nature, je ressens chez lui une sagesse, qui impose le respect (c'est un métier où on a le temps de penser ! génial !). Il y a aussi une pédagogie que j'apprécie, liée à la technicité du métier : pas besoin de grands discours, juste ce qu'il faut pour comprendre quoi faire et pourquoi, puis il me montre les gestes, toujours très précis et adaptés selon le travail. Je peux bien essayer de chercher une autre façon de faire, ce n'est pas moi qui vais révolutionner l'agriculture ! Je fais donc exactement ce qu'il me dit de faire et il n'y a pas plus efficace. Quand je n'ai pas chopé le bon geste, il me dit patiemment "ok, I'll show you again"... une fois que j'ai le geste ou que je sais utiliser l'outil nécessaire, il est rassuré et peut vaquer à une autre occupation. C'est ainsi, entre autres tâches, que j'ai fauché un champ d'orties, récolté à l'aide d'une petite faucille de la mélisse, ramassé des patates à l'aide d'une drôle de fourche, sillonné, labouré... (le problème par contre, c'est que je connais mieux le vocabulaire en anglais et que j'ai un mal fou à traduire !). Une fois acquises la confiance et les explications du patron, il y a quelque chose de jouissif à exécuter, peut-être parce que le travail, bel et bien accompli, apparaît immédiatement : en effet, en cas de démotivation, il suffit de tourner la tête pour se sentir fier d'avoir déjà fait tout cela, et se rassurer. Encore un milieu où le soucis de l'efficacité et de la méthode sont bon d'avoir... ça m'plait !
Je travaille le plus souvent dehors, quelque soit le temps (la garde-robe s'adaptant, ce n'est pas vraiment un problème), mais quand il pleut trop, je travaille dans le packing shed, qui est l'endroit où on fait sécher les herbes, puis les empaquète. C'est en fait un peu comme un atelier où on fait un travail d'usine, mais en plus sympa bien-sûr ! On colle des étiquettes sur les emballages en plastique, par exemple Stress Ease tea qui est un mélange d'herbes, puis on ajoute le code-barre et la date d'expiration, pour enfin les remplir de la tisane en question, selon le grammage. On met la radio nationale, qui diffuse des émissions vraiment intéressantes, donc c'est plutôt un bon moment. Puisque je parle de cela, j'en profite pour vous donner un exemple très concret d'une plante pour laquelle j'ai participé à presque tout le processus : l'ortie, dont les feuilles ont pour propriété d'être toniques, dépuratives, diurétiques et anti-inflammatoires. Un jour où les orties ont atteint la taille d'environ 50cm, nous les avons fauchées, réparties sur des tamis, qu'on a ensuite suspendus dans le packing shed pour le séchage. Après une dizaine de jours, les orties, sèches, étaient prêtes à être empaquetées ; mais avant, il a fallu séparer les tiges des feuilles, que l'on garde. Pour cela, je les ai frottées sur un tamis géant "fait-maison" et j'ai dû enfiler une combinaison en jean et deux paires de gants, parce que même si c'est bon pour le corps, les orties, même sèches, ça pique ! Une fois les feuilles isolées et affinées, elles étaient prêtes à être empaquetées.
La présentation que je fais du métier d'agriculteur bio est quelque part un peu idyllique dans la mesure où je parle peu des difficultés, mais bien-sûr, il y en a, comme partout. Par exemple, il faut de sacrés conviction et courage pour maintenir une propriété comme celle où je suis en ce moment. Il paraît qu'elle est petite, mais moi je suis impressionnée par la taille, étant donné que le personnel se fait parfois rare. Et la Nature, elle n'attend pas. Aussi, même si le patron sait ce que sont les priorités, je devine que parfois, cela lui fait mal au cœur de remettre certaines choses à plus tard. Arracher les mauvaises herbes par exemple, c'est un travail qui ne finit jamais et qui est pourtant primordial pour favoriser la croissance des végétaux ! Je pense bien avoir passé plus de dix heures dans un champ de menthe poivrée à enlever la flick weed, qui aussi jolie soit-elle, est redoutable à cause de ses petites graines que le vent dissimule partout afin d'envahir le-dit champ... mais de nouvelles sont encore apparues... malgré tout, demain, il faut récolter le calendula, replanter le céleris s'il ne fait pas trop chaud et installer le système d'arrosage pour l'orge... donc la flick weed, ça sera pour dans quelques jours, quand elle se sera multipliée bien comme il faut ! Avec l'agriculture bio, il faut accepter que tout prend du temps, on apprend à être patient et confiant. La vie est belle parce qu'on fait ce qu'on aime, mais le travail est quotidien, intense... et l'argent ne coule pas à flot, même si l'affaire marche. Mais bon, on est là loin de l'idée que le salaire est ce qu'il y a de plus important dans la vie et comme nos nombreuses activités sont rarement coûteuses ou onéreuses, on s'en sort (ceci-dit au fond, on pense bien-sûr qu'avec tout le travail fourni, ce n'est pas juste que l'agriculteur gagne moins qu'un employé de bureau... mon article est trop long, je ne peux pas parler de cela ici !).
Donc voilà, le travail dans cette ferme bio m'apprend, en plus de réfléchir à ma relation à la Nature et au métier d'agriculteur, à me servir de mes mains et d'outils (tenus par mes mains !), de la préparation du sol à l'emballage, en passant par la plantation, le désherbage et la récolte... tout cela avec pour fond sonore des oiseaux et rien d'autre et pour vue, du vert, des falaises, des fleurs et encore des oiseaux... même le brouillard, dans ce contexte, on s'y fait. Et en plus, parce que chanter ne réchauffe pas que le cœur des hommes, on nous encourage à montrer nos talents à toute cette végétation dont on attend de bons et jolis résultats. Yummy !
** Les jeux de mots sont toujours moins drôles quand ils sont expliqués, mais celui du titre étant un peu tiré par les cheveux et moi tenant à vous faire rire, ou du moins, sourire, je pense que c'est mieux de passer par là. "I reckon : action with Nature" signifie "Je pense : action avec la Nature". Ce qu'il y a d'éventuellement amusant est la ressemblance de sonorité avec l'expression que j'utilise dans l'article "Reconnexion avec la Nature" ! hahaha ! Notez que le "with" ou "avec" est très important... J'en profite pour ajouter que l'idée de la reconnexion avec la Nature ne m'est pas venue d'elle-même : je suis très influencée par Greg et Libby avec qui j'ai passé deux mois et avec qui nous avons énormément parlé de cela. Merci à eux pour cette piste de réflexion, si essentielle à mes yeux, à mon cœur !
Si vous voulez en savoir plus sur leur projet, vous pouvez visiter leur site : http://www.highlandherbs.com.au/
Lilydale, vendredi 27 novembre 2009, 14h (4h du mat' en France)